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Le thé des réfugiés – Streetart anonyme, Jérusalem

– Tu veux encore du thé ?
– Oui. Pourquoi pas.

Les vagues de la mer toute proche orchestrent l’air de la nuit d’été qu’on entend par la fenêtre ouverte.

– Tu es bien ici ?
– Je suis vivante.
– Est-ce assez ?
– De thé tu veux dire ?
– Non, d’être vivante. T’es bête ! Comment est ta vie avec eux ?
– Ils font beaucoup. Mais ils font et je n’ai pas mon mot à dire. Pour eux, j’étais une vieille parente dérangée, que la guerre a fini de déstabiliser. Alors je me tais et je dis simplement merci.
– Mais ils sont ta famille.
– Et ça empêche la rudesse et la bêtise ?!
– Tu es dure.
– Oui, je sais, c’est terrible. Ils ne comprennent pas. Ils viennent me voir et me disent tout heureux : « Maman, nous t’avons pris un rendez-vous chez le coiffeur pour lundi à 14h ». Mais je trouve très bien mes cheveux. Quand Volodia m’a déposé chez le coiffeur, ce dernier m’a demandé : « Alors que fait-on ? » J’ai simplement répondu qu’il devrait regarder la coupe de mon neveu avant de me proposer de faire quelque chose à la mienne.
– A ta place, j’aurais accepté la coupe… !
– Quelle importance ? Tu vois l’état de notre ville aux informations. Quelle importance ?

Une plus grosse vague finit sa course sur la plage.

– Pourquoi as-tu insisté pour m’envoyer chez eux, ici ?
– Eh quoi ! Quel avenir avions-nous en arrivant en Pologne ? Toi, au moins, tu avais de la famille ici, qui a immédiatement proposé de s’occuper de toi. Et beaucoup de gens parlent russe.
– Ils sont religieux et je m’en fiche. Lui, il met son châle le matin et on voit dans ses yeux qu’il a l’impression d’être une sorte de Superman, supérieur. J’envie ton sort à Paris.
– Tu ne sais pas ce que tu racontes.
– Oui, mais à deux, on se serait réchauffer le coeur. Comme ce soir.
– Ô, petite Mère, tu ne sais pas ce que tu désires. Moi aussi, j’aurais voulu te garder avec moi.

Un amas de vagues fait entendre son amoncellement sourd dans le lointain.

– Tu as vu que maintenant les nôtres démontent les statues de Pouchkine ?
– Et alors : nos gamins prétendent ne plus savoir le lire !
– Le monde devient fou.
– Tu le trouvais plus raisonnable du temps de l’Union ?
– Non bien sûr, mais on connaissait les règles.


La conversation publiée ici a été adaptée du récit d’une amie ukrainienne, réfugiée à Paris, et qui a profité d’un séjour en Israël pour retrouver une de ses tendres amies de Kharkov ou Kharkiv (comme on préfèrera), sa ville bien aimée. La guerre débutée en février 2022 les a privées dès le troisième jour de leur logement. Ensemble elles ont fui leur ville, direction la Pologne, avant de se séparer : l’une partait rejoindre sa famille en Israël ; l’autre s’installait à Paris, avec pour seul possession un chien, un sac et les vêtements qu’elle portait.

Pour le regard occidental, la guerre arrive et semble sortir de nulle part. Certes, le Maïdan, le Donbas, les tentatives de manipulations politiques des uns et des autres avaient fait vaguement leur bout de chemin vers nos media. Mais février 2022 fait l’effet d’un réveil brutal, où l’on se rend compte que la guerre est toujours une réalité de ce monde. Cela s’accompagne notamment du réflexe le plus humain qui soit : identifier qui sont les gentils et qui sont les méchants. A la guerre, tout le monde est surtout perdant. A commencer par la vie des gens qui n’avaient rien demandé à personne, et qui se voient voler leur ville, leurs repères, leurs attaches, leurs perspectives devenues caduques, qu’ils doivent imaginer ailleurs.

Cette guerre est surtout une occasion supplémentaire de prendre la mesure de nos manques de connaissances et de nos incompréhensions : non connaissance de l’Histoire, de ce qu’a pu être l’URSS, de son impact sur l’espace, le temps et les populations ; incompréhensions de ce qu’est une frontière, des effets de son mouvement, des multiples déterminismes qui poussent à retaper dans ce mur de la pratique des armes, de la projection de son Histoire sur la domination territoriale, du regret des uns et des autres de la disparition d’un monde connu pour s’avancer dans l’obscurité du nouvel ordre qui se fait jour.

« Que reste-t-il de nos révolutions ? », le livre sur Banksy à Paris est disponible

Cela fait maintenant trois ans que ce projet se fraye, bon gré mal gré, son chemin vers la publication. Trois années donc, au cours desquelles, il a fallu travailler à raconter la meilleure histoire possible sur cet incroyable événement artistique que fut la visite de Banksy à Paris en juin 2018. Difficile de trouver les mots pour vous dire toute la joie que j’ai à partager cette nouvelle avec vous ! Car oui, ce livre existe et il est disponible dans la boutique de ce site.

Voici un billet pour présenter en quelques mots le contenu de ce livre, le seul à ce jour qui a pour sujet la visite de Banksy à Paris.

Raconter Banksy à Paris

Le 20 juin 2018, les passionnés de street art découvrent à la Porte de la Chapelle un mur graffé. Celui-ci montre une fillette en train de peindre à la bombe un papier peint pour couvrir une croix gammée. Les jours qui suivent offrent leur lot de nouvelles œuvres. Avenue de Flandre, Maubert, Sorbonne, Beaubourg, Bataclan… à chaque apparition, la rumeur colporte le nom de Banksy. Le 26 juin, le pochoiriste de Bristol publie sur son Instagram une première revendication d’une de ses réalisations parisiennes. Il confirme la paternité de la dizaine d’œuvres et commente en quelques mots certaines d’entre elles.

Mais, pour qui a suivi cette folle semaine artistique, c’est l’étonnement !

La gamine de la Porte de la Chapelle avait orienté la réception du travail de Banksy à Paris sur la question des migrants. Or dans sa première publication, l’artiste parle des 50 ans de mai 1968 et de Paris comme lieu de naissance du pochoir artistique moderne. Comment donc comprendre cet écart thématique ? Que cherche à nous dire l’auteur ?

De l’art de la révolution…

L’idée de publier quelque chose pour raconter cette folle semaine s’est alors rapidement imposée. Il y avait urgence à prendre le temps de raconter ce quelque chose. En effet, l’euphorie combinée des media et des réseaux sociaux avait imposé une réception événementielle de cette résidence éclair.

Mais quand Banksy prend la parole pour publier ses réalisations, l’événement peut laisser la place à l’écoute d’un message porté par une mis en scène soignée. Celle-ci convoque à plusieurs reprises la notion de révolution. L’esprit du cinquentenaire de mai 1968 plane fortement dans la galerie que l’artiste offre à Paris. On le retrouve dans plusieurs réalisations, ouvertement revendiqué sous forme de cartouche dans la rue (cf. les photos gauche et droite ci-dessus). On le lit dans la première publication partagée par l’artiste sur Instagram. L’esprit de 1789 apparaît également ici et là. On le voit dans le personnage de Napoléon, on le lit dans l’une de ses citations, on le devine dans le détournement de notre devise nationale.

Cet héritage historique français et ses paradoxes (surtout ses paradoxes !) intéressent Banksy. Et sous les bombes du pochoiriste, Paris devient une scène de théâtre, dont les œuvres sont comme des actes qui donnent vie à ces paradoxes.

…à la révolution de l’art

Ces révolutions politiques entrent en résonance avec une autre révolution, artistique cette fois : le street art. Un rat armé d’un cutter de street artiste, qui tourne le dos au Centre Pompidou, le musée d’art contemporain : en une image forte, Banksy donne le ton ! Et le rat pochoiriste de Beaubourg se met à discuter avec la gamine graffeuse de la Porte de la Chapelle. De quoi parlent-ils ? Eh bien pourquoi pas de qui des deux est acteur ou profiteur de cette révolution !

Découvrez la suite dans notre essai : « Que reste-t-il de nos révolutions ? Notes sur l’intervention de Banksy à Paris« .

Pour infos :

Le livre sera présenté le dimanche 24 octobre 2021 à la YAM.

Titre : Que reste-t-il de nos révolutions ? Notes sur l’intervention de Banksy à Paris
Auteurs : Yohanan Winogradsky et Quentin Gassiat
Préface : Pierre-Michel Sailhan
Editeur : Critères éditions
Collection : Les chroniques du Street art
Prix : 18 euros

Que reste-t-il de nos révolutions ? Notes sur l’intervention de Banksy à Paris [Essai]

Avec l’ami Quentin de QG des Artistes, nous sommes absolument ravis de vous présenter notre livre : “Que reste-t-il de nos révolutions ? Notes sur l’intervention de Banksy à Paris”.

Un peu plus de 3 années se sont écoulées depuis la visite de Banksy à Paris en juin 2018. A l’époque, cette résidence éclair avait mis en ébullition la communauté des passionnés de street art. Pendant une semaine, le pochoiriste britannique avait créé l’événement et les projecteurs s’étaient braqués sur lui et quelques-unes de ses œuvres parisiennes, depuis la Porte de la Chapelle, à la Sorbonne et au Bataclan.

Est-on sûr qu’il s’agit de Banksy ? A-t-il réalisé de nouvelles œuvres cette nuit ? A-t-il revendiqué ses œuvres ? Pourquoi a-t-il changé le rat à Beaubourg ? Est-ce lui qui a retiré au burin le rat qu’il avait dessiné dans un escalier à Montmartre ? Génie pour les uns, héraut de la bien pensance facile pour les autres : voilà un événement artistique qui n’a pas laissé indifférent.

Banksy à Paris : que cherche à nous dire l’auteur ?

C’est en nous baladant un soir avec Pierre-Michel pour faire le tour des différentes pièces à notre rythme, calmement, que nous nous sommes demandé si, au-delà de l’événement que constitue la visite du plus célèbre street artiste au monde, cette série d’oeuvres racontait quelque chose de plus profond que l’éphémérité caractéristique de l’art de rue. Les emplacements, les sujets des différents tableaux, les courts textes de revendication de leur auteur et leurs allusions ont inspiré ce travail que nous sommes extrêmement heureux de vous proposer aujourd’hui avec Quentin.

Énormes remerciements à Critères Editions pour leur confiance, à Jen pour le bouclage de ce livre, à tous ceux qui ont offert leurs yeux et leurs commentaires précieux au cours des trois dernières années, à Patrick pour être le premier à nous accueillir, et naturellement à toi, Pierre-Michel, compagnon des virées nocturnes et des échanges d’idées farfelues, et surtout surtout à Sophie pour sa patience infaillible !

La publication chez Critères Editions

C’est en toute logique que nous nous sommes tournés vers Critères Editions pour cet essai sur l’intervention à Paris de Banksy. La maison d’édition a, il y a quelques années, ouvert une collection appelée « Les Chroniques du Street Art ». Le premier opus paru dans cette collection fut l’excellent « Pour l’art est dans la rue ? » de l’ami Codex Urbanus. Avec Quentin, il nous a semblé que notre essai « Que reste-t-il de nos révolutions ? Notes sur l’intervention de Banksy à Paris » trouverait tout naturellement sa place auprès de celle de Codex.

Qu’il me soit d’ailleurs permis dans ce court texte de redire mon admiration pour cet essai limpide, qui a indubitablement compté parmi les influences dans la construction de notre essai.


Pour infos :

Le livre sera présenté une première fois le dimanche 26 septembre 2021 au Cabinet d’Amateur.

Il est d’ores et déjà ouvert à la commande et sera disponible à partir du 22 octobre.

Titre : Que reste-t-il de nos révolutions ? Notes sur l’intervention de Banksy à Paris
Auteurs : Yohanan Winogradsky et Quentin Gassiat
Préface : Pierre-Michel Sailhan
Editeur : Critères éditions
Collection : Les chroniques du Street art
Prix : 18 euros

Point sur le Coronavirus pour rester les pieds sur terre et agir comme il faut

[EDIT 15/03/2020]

Comme d’habitude, le génial E-penser partage un point limpide et sans panique sur la situation actuelle concernant le corona virus. Il s’appuye essentiellement sur la notion de « flatten the curve » ou « écraser la courbe » comme on pourrait dire en bon françois. L’idée est que cela prend un peu de temps pour que le système de santé fonctionne de façon optimale pour la bonne prise en charge des cas (courbe nombre de cas/jour).

Donc lisser dans le temps la propagation du virus (qui est là, de toute façon… c’est un état de fait !), eh bien cela sauve des vies.

Ci-dessous, en plus de la vidéo, je rajoute quelques liens utiles pour comprendre la situation et quoi faire. J’en rajouterai au fur et à mesure des contenus intéressants que je verrai passer, et suis d’ailleurs preneur de vos recommandations !

Prenez soin des vôtres et des autres : adoptez la distanciation sociale ! 😀

5 trucs à retenir et qui permettent d’agir intelligemment et sans paniquer !

J’ai choisi de mettre en avant les cinq choses suivantes (la vidéo dit plein plein d’autres choses très intéressantes et je vous encourage à la regarder) :

  • toi, moi, nous, vous, on peut facilement agir en restant à la maison, l’idée étant d’étendre dans la durée la propagation du virus, qui par chance, est faiblement mortel
  • concernant le « on va pas s’empêcher de vivre, voici la réponse la plus efficace : « C’est pas un attentat mais un virus, il s’en tape complet de votre leçon de courage, il continuera juste à se propager alors que chaque jour compte. »
  • se laver les mains et les fesses (et relaver les mains après !), ça fait une grosse grosse différence, notamment parce que le virus est très très faible ➡️ « tu l’as sur les mains, tu les laves, tu l’as plus »
  • éviter de se toucher le visage, ce que nous faisons 2000-3000 par jour sans nous en rendre compte
  • hormis les cas de traitements spécifiques à voir avec le médecin, éviter les anti-inflammatoires

Des infos complémentaires sérieuses et bien faites

  • Sur la question des anti-inflammatoires, voici un lien de Numerama => en gros, si vous avez mal à la tête, c’est paracétamol 🙂
  • Excellent papier (traduit en plusieurs langues), aussi viral que le corona, et qui fait le point sur la compréhension des chiffres et encourage grandement grandement les mesures de distanciation sociale
  • super papier de Science étonnante (comme d’habitude, fin pédagogue) qui montre avec des maths toutes simples l’incroyable efficacité des mesures de distanciation sociale
  • pour les anglophones, vidéo très intéressante d’un cardiologue anglais qui explique 1/ qu’il faut faire gaffe et que 2/ y’a des éléments positifs dans cette épidémie (relative faiblesse du virus et facilité par gestes simples à endiguer)

Lourdeur à bout portant – Street art par hello.klim, Paris

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– Pardon d’être désolé, une question me vient.
– Je suis tout ouïe.
– Un point me chagrine dans notre entrevue.
– Dites-moi votre gêne et dissipons la méprise.
– Ne voyez dans mon propos aucune malice, mais voilà, il me semble bien que vous me prenez pour cible.
– Merci de votre franchise.
– Oh ce n’est rien. Tel que je le comprends, la franchise est typique des personnes tenues en joue.
– Votre humilité vous honore.
– Et vous, vous tentez de me flatter, même que j’en ai la jambe gauche qui se disloque de plaisir !
– Quelle satisfaction de pouvoir susciter de telles émotions ! Pour l’affaire qui nous concerne, je comprends votre embarras.
– C’est fort aimable à vous.
– Je vous recommande d’ailleurs d’être étonné d’apprendre que votre remarque ne me surprend pas.
– Ah. C’est étonnant.
– Oui, je partage l’avis que je vous suggérais dans ma phrase précédente, c’est étonnant, voire même c’est singulier.
– Comme la vie est pleine de coïncidences étonnantes, voire singulières !
– Pour tout vous dire, c’est une chose que l’on me dit souvent.
– Que vous prenez les gens pour cible ? Etrange.
– Très.
– Bon, ça me rassure, c’est arrivé à d’autres.
– Mais comment diriez-vous que ça se manifeste au juste ? Il doit bien y avoir quelque chose.
– Eh bien, tout le mérite revient à votre gestuelle et votre outillage impeccables qui ne laissent que peu de place aux interprétations hasardeuses.
– Ne me dites pas que c’est ce pistolet pointé sur votre personne qui oriente votre pensée.
– C’est-à-dire que le canon est convaincant !
– Vous devriez entendre sa musique, un délice !
– Je sens bien qu’il ne me laisserait pas le temps de lui rendre l’écho de son chant.
– Pan pan !
– Le con, il m’a fait peur !
– Désolé… l’appel de la rime.
– J’ai moi aussi l’amour des mots… Mais là pardon, mon sens poétique est rendu timide : j’ai la fleur et vous le fusil.
– Comprenez qu’en me refusant de toucher votre cœur, c’est le mien qui vole en éclats.
– Ça me va très bien comme ça !
– Ratatatata
– Le con…


Street art par @hello.klim

Odyssée par Levalet, itinéraire guerrier loufoque à Paris

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Levalet nous offre avec sa série « Odyssée », principalement parisienne, un superbe cadeau de début d’année. A travers sept épisodes (série en cours ?) tout en dessins, l’artiste conte l’histoire d’un jeune homme, confronté à la guerre. Depuis sa convocation jusqu’à sa désertion, on suit cet itinéraire en temps de guerre à travers une grande balade parisienne (cf. carte plus bas dans l’article).

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Episode 7 – Le Déserteur, par Levalet pour la série Odyssée

Odyssée par Levalet : bande dessinée urbaine

Plusieurs épisodes sont composés de nombreux panneaux, qui habillent l’histoire de nombreux détails. Cela rend la narration rythmée et profonde. On tourne les pages de cette bande dessinée urbaine en se rendant d’une station à la suivante. L’idée se retrouve d’ailleurs dans une vidéo qu’a publiée Levalet pour illustrer le troisième épisode de la série, « Le Départ ».

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Épisode 3: le départ

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La patte de l’artiste se retrouve tant dans son style reconnaissable entre mille que dans son traitement loufoque des situations. J’avais déjà eu l’occasion de publier des histoires allant dans le sens de ce doux décalage ironique, à l’occasion d’une de ses précédentes expositions au Cabinet d’Amateur (cf. liens en fin d’article). Si vous aimez ce mélange de dessin et d’humour, vous aurez plaisir à retrouver ce ton au cours de cette promenade sous le feu nourri des obus, bananes et autres casseroles.

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Episode 6 – Le Déluge, par Levalet pour la série Odyssée

Itinéraire street art d’une guerre qui n’était pas la sienne

Le projet Odyssée a commencé d’être publié par Levalet au début de décembre 2019 et le septième épisode, le dernier en date, a quant à lui été partagé le 11 février 2020. Il faut malheureusement noter que plusieurs des œuvres ont été endommagées, voire ont complètement disparu. A chaque endroit où elles ont été arrachées, on devine les ombres noircies sur les murs, témoins de la vulnérabilité des collages.

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Côté balade, je suis parti des collages de Richard Lenoir pour ensuite me diriger vers Montmartre. Je n’ai donc pas vu les collages du 19è arrondissement. Dans mon parcours, je regrette particulièrement de ne pas avoir vu l’épisode 4 « L’enrôlement » de la rue des Récollets. Ce dernier semblait en effet réunir des pièces assez drôles illustrant l’envoi du soldat par l’administration au front. C’est l’occasion de noter que la distribution géographique des œuvres ne répond pas à un ordre narratif particulier. Vous pouvez donc prendre la promenade dans le sens que vous voulez.

Le street art pour raconter une histoire

Odyssée est un superbe projet, qui m’a particulièrement plu du fait de son approche narrative. Je trouve géniale cette approche du développement d’une histoire à travers le street art. C’est un aspect qui a inspiré la création de ce blog il y a quelques années, notamment au travers de séries d’histoires basées sur des œuvres réparties un peu partout dans la ville (cf. liens en fin d’article).

J’espère que nous aurons prochainement l’occasion de voir de nouveaux épisodes s’ajouter à la saga. En attendant, plus que jamais, si cette série vous plaît, précipitez-vous pour la voir car le collage est très éphémère !

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Quelques compléments sur la série Odyssée par Levalet

Rêverie en Adagio – Streetart par PolarBear Stencils, Paris

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À la fin de l’Allegro, elle mit en pause sur son écran l’interprétation par l’orchestre de Radio France du Trio n°4 en si bémol majeur de Beethoven. Elle prit son violoncelle dans ses mains délicates, s’assit, inspira et commença de jouer l’Adagio. Les notes berçaient sa chambre d’un calme mouvement de balancier. Elle s’attardait sur les quatre premières mesures, dont elle savourait les yeux fermés la quiétude, allongeant le frottement de l’archet sur les cordes et répétant leur dialogue indéfiniment.

La musique, lui semblait-il, vivait à présent seule, hors de l’invocation de son instrument. Alors seulement, la suite du morceau se déroula, et permit à l’écoulement du piano et de la clarinette de se joindre à la rivière mélodieuse sans tumulte. L’air jouait dans la tête de la fillette, et comme depuis une vieille barque, elle se laissait porter par lui et suivait paisiblement son cours, contemplant la beauté de la berge couverte d’herbe verte, laissant ses mains apprécier la fraîcheur de l’eau qui passait là.

Dans sa rêverie, le jour finissant recouvrit discrètement les couleurs du soir. Les lumières de la maison familiale commençaient à briller dans l’obscurité et guidèrent son retour. À mesure qu’elle se rapprochait, le trio recommençait avec une étonnante proximité qui n’était plus l’œuvre unique de son esprit. Doucement, elle pénétra dans le salon tamisé d’où les notes du morceau s’échappaient et vit ses parents jouer complices les portées du génie viennois.

À cette pensée, ses yeux se rouvrirent doucement alors qu’elle reprenait sur son violoncelle le thème de l’Adagio dans ses ultimes mouvements. Et de la pièce voisine, elle entendit que le piano et la clarinette avaient entonné avec elle l’air selon son allure, tandis que le morceau s’achevait dans cette lente résolution sans crise.


Œuvre  magnifique de PolarBear Stencils trouvé sur une vieille porte rouillée au Pré-Saint-Gervais.

PolarBear & la quiétude de l’enfance

C’est la première fois que je voyais ce sujet de l’artiste, qui traite régulièrement le thème de l’enfance (histoire précédemment publiée ici). Comme souvent en streetart, la beauté de l’œuvre tient ici tant à la grâce paisible de cette jeune musicienne qu’à son support abîmé. Son violoncelle m’a immédiatement fait penser à une scène incroyable dans le film de Coline Serreau « La Crise ». Portant bien son nom, le film s’ouvre sur vingt minutes stressantes, au cours desquelles le héros, interprété par Vincent Lindon, perd successivement son job et sa femme, sans parvenir à obtenir l’attention de ses proches. Cette introduction éprouvante trouve un moment de calme dans une scène de musique classique, dans laquelle un trio interprète un morceau de Beethoven. C’est cette harmonie et cette quiétude que raconte l’histoire de cette jeune fille au violoncelle ci-dessus, que l’on imagine volontiers se préparer pour une audition ou un concert.

Beethoven : Trio n°4 en si bémol Majeur op.11

C’est où ?

L’Absence – Streetart par en.2o, Paris

– Ô mon tendre ami, quelle soirée délicieuse nous avons passé !
– Mon Amour, vous lui avez donné toute sa saveur ! Nous nous apprêtons à nous dire au revoir et déjà je rêve de vous retrouver.

Il récitait tout cet échange merveilleux d’une délicatesse appartenant à un temps révolu, fragilité d’une rencontre, de sa beauté, de son ivresse agréable… grâce accordée par des cieux subjugués retenant leur souffle à une plume légère élisant son attache entre des mains patiemment offertes, dévouées à recueillir un trésor inestimable.

– Où donc, où donc étiez-vous tout ce temps ?
– N’entendiez-vous pas, ma mie, mes sentiments appeler dans la nuit ? Je marchais vers vous.

Ses yeux fatigués, ridés d’un mince sourire ému, se promenaient dans cette pièce emplie de leurs échanges. Ces tableaux, dessins, livres, meubles et luminaires… témoins d’un foyer qu’ensemble ils avaient allumé. Ses yeux lueur saline rejouaient devant lui les rires, les pleurs, les décisions, les joies, les danses, les enfants, les baisers, les tendresses invisibles, les vies d’une vie.

– Je dois rentrer à présent, il m’est impossible de retenir ce jour qui ne pense qu’à fuir.
– Courons plus vite que lui et prenons sa lumière pour toujours !

À travers l’écran, l’actrice à l’éternelle jeunesse déposait dans l’âme du spectateur âgé le souvenir d’un doux regard en noir et blanc, promesse de proches retrouvailles et d’union que rien, pas même le dernier soir, ne pourrait défaire. Et suivant de ses pas le rythme des violons enchanteurs, qui parfumaient par leur chant le passage dans l’éternité de leur scène favorite, celle qui disait avec le plus de vérité leurs émotions mutuelles, il se rendit dans leur chambre devenue solitude, ouvrit l’armoire d’une poignée de velours, soucieux de ne point briser le charme et l’harmonie d’un instant insaisissable, et prit dans sa main tremblante la manche de l’une des robes rangées là. La portant à sa bouche, il l’embrassa et s’en couvrit le visage, inspirant profondément son odeur à ses sens si familière et, dans cette intimité parfaite, sanglota.

– Tu es là, mon Aimée.


Œuvre sublime d’en2o, avec tous mes remerciements à @mickael_nonine qui m’a aidé à localiser l’œuvre.

Évocation du passé grâce à la craie

Il y a dans les œuvres d’en2o une magie, celle du transport dans une ambiance appartenant au passé. Ses portraits, sorte d’apparitions fantomatiques, sont rares à Paris. J’avais eu précédemment l’occasion de publier l’une de ses œuvres, qui se trouvait Place des Vosges et qui a depuis disparu. Le texte s’appuyait sur ce sentiment du passé convoqué par le style de l’artiste pour parler de la mémoire d’un être disparu. C’est le même sujet qui a inspiré le texte présent. Thème peu évident à traiter, mais que la délicatesse du portrait guide dans l’évocation pudique de l’absence. Le final est inspiré par une scène issue de l’excellente série « Shtisel », dont l’écriture et la mise en scène sont d’une très grande finesse.

À la mémoire de Françoise.

C’est où ?

Témoin de cendre – Streetart par Hopare, Paris

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Des villageois rassemblaient l’amas de bois, des villageois poussaient un homme vers le bûcher. Ses mains, ils les ligotèrent au poteau qui s’élevait au milieu du tas. Puis ils approchèrent une torche de la base et tout s’embrasa dans le hurlement des flammes et du malheureux. Ma conscience s’éveilla alors parmi les braises rouges, et, suivant ma vocation, je réunissais en cendres communes le supplice et le condamné.

Dans une maison, l’âtre accueillait un feu de bois, dans cette maison, deux amants s’aimaient en passionnels ébats. Leur étreinte brûlante, le feu la jalousait, désirant lécher de ses langues ondulées leur agitation charnelle. Son excitation claquante, crépitante le consuma tout entier, tandis que les corps connaissaient une ultime secousse. Mon regard gris, témoin du crépuscule, contemplait les tristes restes d’une passion achevée, dans l’impatience que le brasier fut ravivé.

Le froid leur donnait rendez-vous autour d’un baril ardent, le froid décomposait leurs mouvements en saccades. Leurs visages de charbon, la chaleur les réconfortait de ses reflets jaunes, et orange, et rouges. Ce feu des pauvres suscitait rires, anecdotes, contes et chansons, jetés là avec le papier des réclames et le bois des cageots qui alimentaient le foyer. Ma présence silencieuse les accompagna, emportant les débris émiettés de leur veillée joyeuse au gré du vent.


Street art par Hopare

Chaque intervention parisienne d’Hopare est une fête ! J’aime énormément le style de l’artiste et sa présence par ici est trop rare. Je vous invite à lire ses autres œuvres qui ont été publiées sur ce site.

Pour la publication de ce superbe portrait sur son compte Instagram, Hopare a rédigé un commentaire au sujet du sens de l’œuvre :

Passage rapide à Paris… La mémoire est une notion fondamentale dans le champ des arts plastiques. Elle introduit des questions relatives au temps, à la temporalité et à l’organisation du visible tout au long du XXème siècle. Trace d’un événement, signe mis en scène par l’artiste ou reconstitution d’un souvenir, l’œuvre devient alors un nouveau sujet d’investigation pour l’artiste dans son temps. L’homme se souvient. L’artiste la représente, la revisite sur différents supports.

L’idée qu’il met en avant au sujet de la mémoire a inspiré le texte publié ici. Le gris légèrement bleuté de ce visage s’est imposé comme une personnification des cendres, esprit et témoin de tous les feux et de leur commune destinée, écho de la chanson « Dust in the wind ».

C’est où ?

Le Grand Siècle du Marais par c215 : promenade avec les grands du XVIIè siècle en pochoirs

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Après sa galerie de portraits intitulée Illustres ! l’année dernière, qui nous proposait d’explorer les abords du Panthéon à Paris, c215 revient avec une série consacrée aux grands personnages qui ont vécu dans le Marais. Les 3ème et 4ème arrondissements accueillent ainsi une vingtaine de portraits réalisés au pochoir.

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Portrait de Simon Vouet, pochoir de c215 pour la série « Le Grand Siècle du Marais »

La galerie est organisée en collaboration avec la mairie du 4è arrondissement. Il vous est d’ailleurs possible d’y récupérer une carte, répertoriant l’ensemble des œuvres réalisées par c215. Le parcours nous conduit de la rue des Francs Bourgeois à la rue de Turenne, de la Place des Vosges au Quai des Célestins et au Boulevard Henri IV. Point important : au moment de ma balade, toutes les œuvres n’étaient pas encore réalisées. Quelques points sont donc répertoriés sur la carte par anticipation. C215 a d’ores et déjà annoncé qu’il ferait prochainement les pochoirs manquant à l’appel.

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Portrait de Madame de Sévigné, pochoir de c215 pour la série « Le Grand Siècle du Marais »
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Portrait de Molière, pochoir de c215 pour la série « Le Grand Siècle du Marais »

Voyage culturel dans le XVIIè siècle français grâce aux pochoirs de c215 dans le Marais

Comme ce fut le cas pour la série Illustres ! cette galerie de portraits est une magnifique occasion de s’intéresser à des personnages de notre Histoire. Ainsi que le précise c215 dans son texte introductif qui accompagne la carte :

« Tous habitaient ou travaillaient dans le Marais, en une époque où le Marais, premier quartier parisien bâti de pierre, était véritablement le cœur bouillonnant de la capitale. »

Voici donc la liste des personnages que l’on peut croiser lors de la balade, accompagnée pour chaque entrée du lien vers leur biographie sur wikipedia :

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Portrait de Louis XIII, pochoir de c215 pour la série « Le Grand Siècle du Marais »