Douce france par c215

Une exposition rétrospective sur l’oeuvre de Christian Guémy, alias c215, se tient à Vitry, où l’artiste “opère depuis 2008” (Le Parisien, 12/01/2017), jusqu’au 26 février prochain (info pratique). L’exposition est organisée autour de cinq thèmes chers à c215: la “Douce France” ou comment regarder l’identité française, les chats, le jeu vidéo avec sa contribution à Far Cry, la science et les artistes qui l’ont inspiré. J’ai particulièrement aimé sa thématique sur l’identité française. Son approche artistique du portrait donne à chaque fois envie d’explorer la vie de ces personnes au parcours extraordinaire. Ci-dessous, vous retrouverez donc six des oeuvres exposées, chacune accompagnée d’un texte l’illustrant.

Portrait de Paul-Émile Victor (1907-1995), illustré par un texte publié par sa femme, Colette, dans “le cœur d’un couple”, 1993, Ed Robert Laffont.

“Je pars dans le vent probablement vers le néant.

Mais si ce néant s’avérait être un trésor, je me battrais contre les puissances des ténèbres pour faire entendre ma voix enrichie de cette expérience nouvelle, pour vous dire la promesse que j’aurais arrachée au silence. Afin que vous sachiez que mon coeur est devenu plus riche, mon âme plus universelle. Que vous sachiez qu’après il y a quelque chose, autre chose. Autre chose qui ne peut être que Dieu, qui est en réalité Vous. L’homme matériel que nous sommes ne peut l’imaginer, et encore moins l’appréhender. Mais je me battrai.

Je n’ai pas peur de mourir. C’est le destin de tout ce qui vit, et qui ne vit que parceque la mort en marque la fin.

Mais ce qui me navre – ô combien ! – ; c’est de m’arrêter d’aimer. L’important n’est pas tant d’être aimé, d’avoir Dieu dans son coeur, mais d’être dans le coeur de Dieu. Ainsi l’amour n’est-il plus un sentiment ponctuel, égocentrique, mais universel. Il englobe tout autour de soi et, plus que tout autre sentiment, apporte la plénitude, le calme, la joie, le bonheur, la compréhension et la tolérance, mais aussi l’enthousiasme, la rage de vivre.”

 

Portrait de Léo Ferré (1916-1993), illustré par un extrait de la chanson “Les vitrines” de 1953.

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Les vitrines de l’avenue
Font un vacarme dans les cœurs
À faire se lever le bonheur
Des fois qu’il pousserait dans les rues !

Les faux poètes qu’on affiche
Et qui se meurent à l’hémistiche
Les vedettes à faits-divers
«Paroles» de Jacques Prévert

Les prix Goncourt que l’on égorge
Les gorges chaudes pour la voix
Les coupe-fils et les soutien-gorges
Avec la notice d’emploi

Les chansons mortes dans la cire
Et des pick-up pour les traduire
Microsillon baye aux corneilles
C’est tout Mozart dans une bouteille

Le sang qui coule plein à la une
Et qui se caille aux mots croisés
«France-Soir, le Monde et la Fortune !»
Devant des mecs qu’ont pas bouffé

Les vitrines de l’avenue
Font un vacarme aux alentours
À faire se lever l’amour
Des fois qu’on l’ vendrait au surplus !

🎶

 

Portrait de Tirailleur Sénégalais parmi les Poilus, illustré par le poème “Hosties Noires”, Poème Liminaire de Léopold Sedar Senghor, 1940.

Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères noirs à la main chaude sous la glace et la mort
Qui pourra vous chanter si ce n’est votre frère d’armes, votre frère de sang ?

Je ne laisserai pas la parole aux ministres, et pas aux généraux
Je ne laisserai pas – non ! – les louanges de mépris vous enterrer furtivement.

Vous n’êtes pas des pauvres aux poches vides sans honneur
Mais je déchirerai les rires banania sur tous les murs de France.

Car les poètes chantaient les fleurs artificielles des nuits de Montparnasse
Ils chantaient la nonchalance des chalands sur les canaux de moire et de simarre
Ils chantaient le désespoir distingué des poètes tuberculeux
Car les poètes chantaient les rêves des clochards sous l’élégance des ponts blancs
Car les poètes chantaient les héros, et votre rire n’était pas sérieux, votre peau noire pas classique.

Ah ! ne dites pas que je n’aime pas la France – je ne suis pas la France, je le sais –
Je sais que ce peuple de feu, chaque fois qu’il a libéré ses mains

A écrit la fraternité sur la première page de ses monuments
Qu’il a distribué la faim de l’esprit comme de la liberté
À tous les peuples de la terre conviés solennellement au festin catholique.
Ah ! ne suis-je pas assez divisé ? Et pourquoi cette bombe
Dans le jardin si patiemment gagné sur les épines de la brousse ?
Pourquoi cette bombe sur la maison édifiée pierre à pierre ?

Pardonne-moi, Sira-Badral, pardonne-moi étoile du Sud de mon sang
Pardonne à ton petit-neveu s’il a lancé sa lance pour les seize sons du sorong.

Notre noblesse nouvelle est non de dominer notre peuple, mais d’être son rythme et son cœur
Non de paître les terres, mais comme le grain de millet de pourrir dans la terre
Non d’être la tête du peuple, mais bien sa bouche et sa trompette.

Qui pourra vous chanter si ce n’est votre frère d’armes, votre frère de sang

Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères noirs à la main chaude, couchés sous la glace et la mort ?

 

Portrait de Léon Blum (1872-1950), illustré par des extraits de son discours du 6 juin 1936, un mois après la victoire du Front Populaire, annonçant le programme de réformes parmi lesquelles les congés payés illustrés par l’oeuvre.

“Ces projets de loi concerneront :
– L’amnistie,
– La semaine de quarante heures,
– Les contrats collectifs,
– Les congés payés [que symbolise le transat, support de l’oeuvre],
– Un plan de grands travaux, c’est-à-dire d’outillage économique, d’équipement sanitaire, scientifique, sportif et touristique,
– La nationalisation de la fabrication des armes de guerre

[…]

Tandis que nous nous efforcerons ainsi, en pleine collaboration avec vous [Chambre des Députés], de ranimer l’économie française, de résorber le chômage, d’accroître la masse des revenus consommables, de fournir un peu de bien-être et de sécurité à tous ceux qui créent, par leur travail, la véritable richesse (Applaudissements à l’extrême gauche et sur divers bancs à gauche), nous aurons à gouverner le pays.
.
[…]

Je vous rappellerais que, chaque fois que la République a été menacée, elle a été sauvée par cette union de la bourgeoisie et du peuple républicains, et de la masse des travailleurs et des paysans.

[…]

Nous sommes un Gouvernement de Front populaire, et non pas un Gouvernement socialiste. Notre but n’est pas de transformer le régime social, ce n’est même pas d’appliquer le programme spécifique du parti socialiste, c’est d’exécuter le programme du Front populaire.”

 

Ce portrait, intitulé “La Marianne de Demain”, réalisé par C215 sur une carte de France introduit sa thématique “Douce France”. Pour l’accompagner, je vous propose un extrait de la Promesse de l’Aube de Romain Gary (Roman Kacew de son nom de naissance), dans lequel l’écrivain évoque l’amour inconditionnel de sa mère pour la France, depuis Vilnius jusqu’à Nice.

“Conservatoire ou pas, ma mère devait cependant avoir du talent, parce qu’elle mettait à évoquer pour moi la France tout l’art des conteurs orientaux et une force de conviction dont je ne me suis jamais remis. Jusqu’à ce jour, il m’arrive d’attendre la France, ce pays intéressant, dont j’ai tellement entendu parler, que je n’ai pas connu et que je ne connaîtrai jamais – car la France que ma mère évoquait dans ses descriptions lyriques et inspirées depuis ma plus tendre enfance avait fini par devenir pour moi un mythe fabuleux, entièrement à l’abri de la réalité, une sorte de chef-d’œuvre poétique, qu’aucune expérience humaine ne pouvait atteindre ni révéler.

[…]

Plus tard, beaucoup plus tard, après quinze ans de contact avec la réalité française, à Nice, où nous étions venus nous établir, le visage ridé, maintenant, et les cheveux tout blancs, vieillie, […] elle continua à évoquer, avec le même sourire confiant, ce pays merveilleux qu’elle avait apporté avec elle dans son baluchon ; quant à moi, élevé dans ce musée imaginaire de toutes les noblesses et de toutes les vertus, mais n’ayant pas le don extraordinaire de ma mère de ne voir partout que les couleurs de son propre cœur, je passai d’abord mon temps à regarder autour de moi avec stupeur et à me frotter les yeux, et ensuite, l’âge d’homme venu, à livrer à la réalité un combat homérique et désespéré, pour redresser le monde et le faire coïncider avec le rêve naïf qui habitait celle que j’aimais si tendrement.

Oui, ma mère avait du talent – et je ne m’en suis jamais remis.”

 

Portrait de Marie Curie sur le tableau périodique des éléments de Mendeleïev. Le texte ci-dessous est en partie inspiré de l’excellente video que consacre e-penser à Dmitri Mendeleïev.

Qu’est-ce qui fait du tableau des éléments une découverte folle? Lorsqu’il publie son papier sur la dépendance des éléments en 1869, Dmitri Mendeleïev propose une vision révolutionnaire de la matière. A son époque, la notion de périodicité des propriétés chimiques des éléments a été perçue par quelques chercheurs, mais n’est pas prise au sérieux. Il faut se rappeler aussi que l’électron n’est pas encore découvert (1897) et que donc l’atome, dont les modèles sont très avancés au XIXè siècle, n’a pas encore été rencontré.

Dans son papier, Mendeleïev propose de classer les éléments connus à l’époque selon leur masse et souligne ainsi l’existence d’une périodicité entre leurs propriétés chimiques. Il affirme par ailleurs être en mesure de prédire les éléments qu’il reste à découvrir, ainsi que leurs propriétés chimiques, l’information de la masse atomique lui permettant de déduire les caractéristiques des éléments. Le tableau comprend aujourd’hui 118 éléments.

En 1897, Marie Curie se lance dans sa thèse de doctorat en choisissant l’étude de l’hyperphosphorescence, ou radioactivité, découverte l’année précédente par Henri Becquerel lors de ses observations de l’uranium. Dès 1898, le couple Curie annonce la découverte du polonium, nommé ainsi par Marie en hommage à sa Pologne natale, et du radium, du latin radius i.e. rayonnement.
Ils ajoutent ainsi 2 entrées au tableau des éléments de Mendeleïev. La découverte vaudra aux 3 chercheurs le Nobel de physique en 1903.