La steppe, la steppe tout en rond, le chemin s’étend au loin; dans cette plaine silencieuse, le cœur s’emplit de tristesse.
D’un pas lent, ma Niania adorée effectuait une ronde rituelle qui suivait le rythme de la chanson, toujours la même complainte du cocher des steppes, qu’elle chuchotait à mon oreille. Elle me serrait contre elle. Là au creux de ses bras, dans sa chaleur, elle me berçait dans l’obscurité de la chambre, et nous parcourions ainsi l’immense étendue de la steppe chantée, piétinant les ennemis de la nuit venus agiter mon sommeil. Aucun de ces démons ne pouvaient survivre à la lumière de son chant.
L’odeur familière de son châle fatigué apaisait le plus amer de mes chagrins. J’agrippais ses franges et les enroulais autour de mes doigts pour éteindre les derniers hoquets de tristesse qui me secouaient. Sa main gauche remontait ma nuque et caressait mes cheveux.
La chanson terminée, elle déposait sur mon front un baiser et récitait dans une langue ancienne une prière que je n’entendais jamais en entier, bénédiction invoquée pour le repos calme, délivré des tumultes.
Si la magie existe dans le monde, ma Niania en connaissait les secrets.
Street art par c215, réalisé à Paris dans le 13è arrondissement. J’ai eu la chance de voir ce magnifique pochoir de Christian Guémy à trois reprises : à Paris (présent billet), à Amsterdam et à Lausanne. De ces trois versions, celle de Paris est la plus imposante.
Et voici le chant de la Niania « Степь да степь кругом », que l’on peut traduire par « la steppe, la steppe tout en rond ». Il s’agit d’une complainte triste d’un cocher des steppes, qui meurt de froid dans cet environnement silencieux et demande à son ami fidèle de ramener ses chevaux, transmettre ses respects au prêtre du village et donner sa bague de fiançailles à sa bien-aimée, en lui souhaitant de trouver quelqu’un de bien. Ambiance.
Pensées affectueuses à Françoise.