Le Vieux – Streetart par About Ponny, Vitry-sur-Seine

Les roues du vieux chariot crissaient sur le sol luisant de la maison de retraite. L’aide soignant s’occupait de servir le repas aux pensionnaires du couloir B et marquait régulièrement une pause, s’arrêtant devant chacune des chambres. Respectueusement, il s’approchait et toquait à la porte, plateau en main, et, après quelques secondes de politesse, rentrait en annonçant d’un air chantant le dîner. En réponse au festin qu’il leur présentait, ses convives lui offraient, silencieusement, un sourire aimable, une larme de fatigue, un hochement de tête compulsif ou une moue de dégoût.

Mais au fur et à mesure qu’il progressait dans le couloir, un bruit montait. Ce n’était pas l’enthousiasme du présentateur de Questions pour un Champion qui gueulait dans chaque chambre, ni même les sonnettes de ceux qui avaient une demande. Non. Plus il avançait, et plus le bruit prenait forme. Quelqu’un hurlait.

Arrivé devant la porte d’où venaient les cris, l’aide soignant appliqua calmement son protocol d’entrée dans la chambre, habitué à la scène qui l’attendait de l’autre côté. Il ouvrit et vit une femme, la soixantaine, rouge de colère, se tenant debout, arpentant nerveusement la pièce. Installé dans son fauteuil, un vieux monsieur la regardait, l’air triste.
L’employé déposa le plateau repas sur la table roulante qu’il rapprocha du vieil homme et demanda à la visiteuse de bien vouloir baisser d’un ton, afin de ne pas déranger les autres pensionnaires. À peine eut-il refermé la porte cependant, que la gueulante reprit.

Chaque soir elle clamait tout son cœur sur son vieux. Chaque soir elle insistait néanmoins pour elle-même le nourrir et faire sa toilette. Chaque soir quand elle partait, l’aide soignant passait une tête par la porte de la chambre et, un peu honteux, interrogeait du regard le vieil homme. Chaque soir, les yeux mouillés et le visage abattu, du bout des lèvres le vieux murmurait « ça va ».


Street art par About Ponny

Pour mon premier job étudiant, j’ai travaillé deux mois l’été à la maison de retraite de Saint Cloud. C’est une expérience marquante, et dont le souvenir ne m’a jamais quitté. Régulièrement – et plus encore avec l’actualité – j’ai une pensée pour les familles, les résidents, et surtout le personnel soignant. Il y a quelques années, j’avais publié sur un autre blog, un article dans lequel le récit de quelques situations vécues s’entremêlait avec les paroles des Vieux de Jacques Brel. L’histoire ci-dessus faisait partie de ces histoires. La voilà aujourd’hui développée en courte nouvelle, illustrant le très beau pochoir d’About Ponny à Vitry-sur-Seine.

C’est où ?

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