Les jours de beau temps, les aides-soignantes de la maison de retraite Le Parc installent leurs pensionnaires sur la terrasse, dehors au soleil. Vieux et Vielles lézardent ainsi tant que la chaleur y est.
Les activités varient.
Mme M. qui a fait toute sa carrière dans une bonnetterie palpe de sa main experte ses collocatrices et leur dispense de nombreux conseils.
À côté d’elle, MM D. et K. jouent aux cartes ensemble, mais pas aux mêmes jeux. Le premier murmure des secrets au Valet de cœur, le second aligne les cartes devant lui et parfois en retourne une au hasard qu’il regarde avec émerveillement, ému que la figure représentée dessus soit restée intacte depuis la veille.
Un peu plus loin, Mme Z. contemple fixement, sans mot dire ni clignement des yeux, tout ce qui se présente dans son champ de vision, immobile, avec sa mâchoire lancée dans un mouvement circulaire latéral perpétuel, que rien, pas même le sommeil, n’interrompt.
Enfin, c’est l’heure du spectacle. Lorsqu’ils sont tous lancés dans leurs activités respectives, et surtout pas avant, un chat du quartier, visiteur habitué, fait son entrée, savamment soignée, attirant sur lui tous les yeux.
Sa mise en scène est bien rodée, le félin malin connait par cœur sa partition et son public.
L’air innocent, l’air de rien, le matou s’avance en longeant l’autre côté du muret. Il jette un regard par dessus son épaule, nonchalamment mais n’arrête pas pour autant le rythme de ses pas coussinés et se tasse avec souplesse sur lui-même. L’enchainement est fluide, si bien qu’avançant à allure constante droit devant lui, il offre l’illusion de disparaître petit à petit derrière le muret de pierres.
La démonstration de l’escalator est terminée, et c’est comme à chaque fois un succès ! Le chat réapparaît sur le rebord, triomphant. Il salue, acclamé par les pensionnaires qui en redemandent. Des bouquets de croquettes sont lancés et inondent la scène !
Puis le train train ronronnant de leurs activités reprend.
Un sourire se dessine sur les lèvres fripées de Mme Z. L’aide-soignante, venue lui donner son goûter, la voyant ainsi s’exclame : « alors on rêve à quoi cette fois-ci, Mme Z. ?! »
Le baccalauréat en poche, je suis allé travailler à la maison de retrait de Saint Cloud. C’était, après le baby sitting et les cours de soutien, mon premier vrai job étudiant. C’est une expérience qui m’a énormément marqué et j’ai souvent une pensée pour nos Vieux et Vieilles qui y vivent, ainsi que pour le personnel qui s’occupe d’eux, parfois en leur donnant tout. Il y a quelques années, j’avais écrit un article, déjà sous forme d’histoire, qui racontait la maison de retraite. L’idée avait été de faire un parallèle entre la chanson « les Vieux » de Brel et le quotidien dans la maison de retraite. Vous pouvez lire ce texte à cette adresse.