Des heures. Cela pouvait durer des heures entières. Flanqué du sceau d’eau savonneuse que lui avait préparé sa mère le matin, il restait planté là toute la journée à répéter inlassablement les deux gestes sur lesquels il laissait ensuite glisser son émerveillement.
Il plongeait tout d’abord dans le sceau ce manche en plastique couronné d’un cercle qui retenait dans son périmètre une surface fragile d’eau tendue aux reflets multicolores. Il ramenait le manche ainsi trempé sur la paroi du sceau et tapotait doucement sur le rebord pour le délester de l’excès de savon.
Après quoi, il portait le cercle devant sa bouche. D’un souffle savamment calculé, qui attaquait avec une intensité maîtrisée et suivant un angle précis la lentille d’eau prisonnière du manche, il libérait des dizaines de bulles.
Chacune il les suivait du regard, observant la route qu’elles prenaient, prédisant leur parcours et retenant le point où elles éclataient.
À chaque fois, il essayait de garder en mémoire tous ces chemins et toutes ces fins pour en tirer un schéma d’ensemble fait de trajectoires, toutes issues du même point initial. Quel spectacle ! Comme une bulle d’encre noire déposée sur une feuille blanche sur laquelle on souffle pour faire jaillir des lignes ramifiées de plus en plus fines, qui finissent leur course dans l’épuisement, dessine un point d’impact et ses effets.
À chaque fois un Big Bang. À chaque fois une Création.
Street art par Alice Pasquini