L’automate funambule – Streetart par oakoak & Jordane Saget au Cabinet d’Amateur, Paris

Elle n’avait pas le temps. Chaque jour, elle n’avait pas le temps. Ses journées étaient comme la partition perforée que mange sans fin l’orgue de barbarie.
Se lever, s’habiller, préparer les jumeaux, les déposer à la crèche, bosser, jeûner pour rejoindre les p’tiots tôt, vers 19h30, les faire manger, avaler un morceau, se coucher, se lever… Une vie métronomée.

Au travail, rigoureuse, sérieuse, compétente, accomplie, pressentie pour la prochaine ouverture de poste de manager. Toutes ces qualités venaient au monde de la relation fertile et fusionnelle qu’elle entretenait sur son lieu de travail avec son Mac.
De jour, elle était tout boulot, avec une seule exception. Toujours, dans un coin de son écran, elle conservait ouverte une fenêtre vidéo. Celle-ci retransmettait en continu le flux de la webcam de son salon. Ce dispositif lui permettait de vérifier la façon dont la jeune fille au pair s’occupait de ses loulous à partir de 17h.

Un jour qu’elle était lancée dans la énième présentation de sa vie, quelque chose dans la vidéo du salon attira son attention sur l’écran d’où elle suivait ses diapositives. Il lui sembla distinguer une petite forme en mouvement. Ça se passait près de l’escalier qui descend à l’étage inférieur de son appartement, et dont l’accès est barré par une chaînette. Elle ne pouvait naturellement pas interrompre le flot de son discours, mais son professionnalisme était mis à rude épreuve tant la scène lui paraissait intrigante.

Et non, elle ne rêvait pourtant pas ! L’automate qu’elle avait hérité de sa grand-mère, une petite ballerine, d’ordinaire sagement posée sur le buffet, était en train d’escalader le muret de l’escalier avec une persévérance gauche et émouvante. Elle la regarda avec ses petits jambes se hisser jusqu’à la chaînette, reprendre son souffle une fois arrivée en haut et enfin se préparer à funambuler.
Ombrelle en main, la petite danseuse arpentait d’un pas léger la chaînette. Après quelques allées et venues, elle prit de l’assurance et s’aventura à quelques mouvements audacieux. Au milieu du parcours, elle déploya ses bras et dessina des cercles gracieux, accompagnés de sautillements et finalement conclut par une vrille à la réception parfaite.

Sur ce dernier mouvement, la présentatrice suspendit sa présentation et tapota des mains pour saluer l’exceptionnelle performance, geste qu’elle transforma en frottement et réchauffement de ses mains en constatant le regard médusé de son auditoire puis reprit l’air de rien son propos.


Œuvre de oakoak sur fond de lignes de Jordane Saget au Cabinet d’Amateur

C’est où?

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