Vie et Destin – Streetart par the Night Owl, Vitry-sur-Seine

« Chacune de ses paroles, qu’elle attendait avec impatience, la brûlait. Mais il y avait autre chose dans cette conversation, et cela la rendait encore plus pénible, elle sentait que Maazel avait cherché cet entretien pour lui et non pour elle. Et elle en éprouvait de la rancune pour le chirurgien.

Au moment de le quitter, elle lui déclara être persuadée qu’il avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour sauver son fils. Elle sentit que ses paroles apportaient un soulagement au chirurgien ; elle comprit à nouveau qu’il se savait le droit d’entendre ces mots et que c’est dans ce but qu’il avait cherché à la voir, et l’avait vue.

Et elle se dit avec amertume que c’était d’elle qu’on attendait des paroles de consolation. […]

Tous les souhaits de Lioudmila Nikolaïevna avaient été réalisés de façon nette et précise, comme il convenait à des militaires. Mais, dans l’attitude à son égard du directeur, de l’infirmière, du commissaire, on sentait qu’eux aussi attendaient d’elle apaisement et pardon. […]

Tous les hommes sont coupables devant une mère qui a perdu son fils à la guerre, et tous cherchent en vain à se justifier devant elle depuis que le monde est monde. »


Œuvre de The Night Owl à Vitry-sur-Seine.

Illustrer un mur sur le thème de la guerre

Le style du mur de the Night Owl évoque volontiers celui de Tardi, génial auteur de BD et illustrateur. Récemment, la lecture du « Cri du Peuple », adapté par Tardi du roman de Jean Vautrin, m’a rappelé ce mur de Vitry et donné envie de le partager. Simplement, il n’est pas facile de choisir une citation issue d’une bande dessinée pour illustrer une œuvre de street art.

J’ai donc choisi, pour accompagner la publication de la photo de ce mur, un extrait de Vie et Destin de Vassili Grossman (1962), roman témoignage de première main troublant, relatant avec le souci du détail et des sentiments le quotidien du front et de la société Soviétiques en pleine Seconde Guerre Mondiale. Dans cette scène, une mère – Lioudmila Nikolaïevna – apprend que son fils, soldat mobilisé, est mort au front et tous ceux qui se sont occupés de lui, depuis le chirurgien jusqu’à l’infirmière en passant par la hiérarchie militaire et la représentation politique du Parti, expliquent leur impuissance coupable à la pauvre femme. Et plutôt que de recevoir leur consolation, amèrement, elle comprend que lui revient le rôle de les rassurer, de les dédouaner. La scène est à l’image de ce que propose le roman : une exploration profonde des sentiments, de l’âme humaine et de ses mouvements, de ses paradoxes, prise au piège du temps de guerre et des dynamiques totalitaires.

Vie et Destin est un écrit bouleversant, dont l’histoire entre en étrange résonance avec les faits qu’il relate. Le propos de l’auteur, Vassili Grossman, consiste à exposer, petit à petit, la nature des régimes totalitaires et ce que cette nature impose à la nature humaine. Achevé en 1962, le manuscrit sera fait prisonnier par le KGB, avant de trouver le chemin vers une première publication en 1980, en dehors de l’URSS.

Si l’histoire de l’œuvre de Grossman vous intéresse, je vous recommande cet excellent documentaire, intitulé « Le manuscrit sauvé du KGB – Vie et destin de Vassili Grossman », diffusé sur Arte en 2018.

C’est où ?

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Commentaires

3 Commentaires

  1. Merci ! Lecture bouleversante… (et je n’en suis qu’à la moitié). Le livre me donne envie d’explorer ses carnets de guerre, il adopte apparemment un ton très libre.

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