Quelqu’un vous a-t-il déjà fait une déclaration d’amour ? Et vous-même, avez-vous dit à quelqu’un que vous l’aimiez ? Pardonnez-moi si vous me trouvez intrusive, un des luxes de l’âge est de moins s’encombrer des conventions sociales. Personne ne m’a dit de mots d’amour. Ma mère est morte lorsque j’avais quatre ans et ma grande sœur a pris sur elle de veiller sur moi comme une petite maman. La nouvelle femme de mon père l’a convaincu de se débarrasser de nous et nous avons été placées chez des fermiers chez qui nous avons grandi heureuses… Mais pourquoi est-ce que je vous raconte ça ? Je ne le sais plus.
Est-ce que vous vous sentez adulte ? Je crois que la majorité des gens se déclare adulte mais ne se rend pas compte que tel n’est pas le cas. En ce qui me concerne, je ne sais pas. J’aime m’amuser et dire des bêtises. Est-ce que cela fait de moi une adulte ou une enfant ? Souvent on confond sérieux et adulte. Chaque matin, je vais à l’ouverture de l’épicerie faire des petites courses et je dis aux gens que je croise que j’ai besoin de mon litre de blanc. Ils sont gênés d’entendre une vieille alcoolique affirmer sa dépendance et sourient poliment. Aucun jamais ne m’a demandé de quel blanc il s’agissait. Naturellement je leur répondrais qu’il s’agit d’un litre de lait pour mon repas du matin… Je ne sais pas si ça les amuserait, moi ça me fait rire. Mais pourquoi est-ce que je vous raconte ça ? Ce n’est pas très intéressant.
J’habite là, pas très loin. Mais ce soir je n’ai pas eu envie de rentrer tout de suite. Chez moi, il faut monter quatre étages à pied et je monte au rythme de ma respiration et je ne respire pas très vite. Alors ça peut prendre un peu de temps. Parfois, mon voisin du troisième qui a quatre-vingt douze ans m’entend monter et sort m’encourager. Lui aussi fait cet exercice chaque jour. Je l’aime bien. Je crois que lui aussi. Il m’a dit que personne ne lui avait fait de déclaration d’amour. Mais pourquoi est-ce que je vous raconte ça ? Sans doute, cela n’a aucun sens pour vous.
Vous savez la solitude est une chose magnifique, pourvu que l’on ait quelqu’un à qui le dire.
Street art par Guato Mao
C’est le deuxième pochoir du maître pochoiriste Guate Mao que je publie sur la Voix de l’Art Urbain, mais le premier accompagné d’une histoire originale. La première fois, il s’agissait du portrait du portrait d’un vieux monsieur coiffé d’un turban, qui me semblait correspondre au vieux sage auquel Kessel donne vie au début de son roman « Les Cavaliers ». J’ai toute une collection de ses portraits pochoirisés que j’ai trouvés principalement à Paris, mais également à Madrid par exemple. Ces visages sont magnifiques de réalisme et rendent un flamboyant témoignage à la diversité des expressions que le monde nous donne à rencontrer.
Longtemps, j’ai cherché à trouver des mots pour raconter une histoire sur la base d’une de ces œuvres remarquables. Mais à chaque fois, ils me renvoyaient à des visages que j’attribuais à des personnages de littérature, croisés au hasard de mes lectures. Et puis, récemment, alors que j’étais assis sur un banc à Paris, occupé à faire un dernier mail pro en fin de journée, une voix dans mon dos dit : « je ne m’étais jamais rendu compte que ce banc était informatisé ». Un vieux monsieur avait ainsi engagé la conversation et nous avions discuté un moment. C’est cette discussion qui est ici retranscrite et adaptée. Si vous croisez, vers Daumesnil, un monsieur âgé, appuyé sur sa canne ou assis sur un banc public, parlez-lui : il ne sait pas pour quoi il vous dit ce qu’il vous dit, mais le tout fait sens.
À Gilbert.