Le Louvre propose de suivre des artistes pendant 1h30 et de les laisser présenter les oeuvres qui les inspirent parmi les collections du musée. C’est le principe de ces visites « le regard de… » et je vous encourage à consulter le site du musée pour voir le programme des futures éditions (cf. infos en fin d’article). Pour l’édition dont il est question ici, c’est c215 qui faisait le guide au Louvre.
>>Retrouvez les histoires que la voix de l’art urbain proposent sur la base des oeuvres de c215
c215 au Louvre : suivez le guide
Le 18 octobre dernier, je me suis ainsi inscrit à l’une de ces visites que proposait le musée intitulée « le regard de c215 ». Notre groupe d’une trentaine de personnes a pu écouter Christian Guémy, alias c215, nous présenter 3 tableaux :
« La Liberté guidant le Peuple » d’Eugène Delacroix
« Le Radeau de la Méduse » de Théodore Géricault
« La Mort de la Vierge » du Caravage
Pour chacun, il a détaillé la façon dont l’Oeuvre, la technique, voire la biographie du peintre a pu contribuer à façonner son approche. Le lien entre les oeuvres des grands maîtres – Delacroix, Géricault ou Le Caravage – et le travail sur les pochoirs fut de mon point de vue l’élément le plus intéressant.
L’idée est donc de proposer une série de trois articles reprenant la présentation des trois tableaux qu’en a faite c215. Le contenu s’appuie sur les notes prises pendant la visite, des recherches complémentaires (oeuvre, artiste, contexte), et enfin naturellement des illustrations des liens faits par Christian avec photos de ses pochoirs comme support.
Je vous invite à compléter la description qui sera faite pour chaque oeuvre de vos commentaires, qui enrichiront la somme des connaissances rassemblées sous ces articles.
La Liberté guidant le Peuple : une icône républicaine
Commençons donc cette visite au Louvre avec LE tableau sans doute le plus représentatif de notre conception de la République en France. Comme le déclarait le peintre :
« J’ai entrepris un sujet moderne, une barricade, et si je n’ai pas vaincu pour la patrie, au moins peindrai-je pour elle ! »
En peignant sa barricade, Delacroix ne se rend sans doute pas compte qu’il dote la France d’une puissante imagerie révolutionnaire dans un premier temps, républicaine dans un second. Il est notable que l’icône de Delacroix est source de confusion pour nous, spectateurs du XXIè siècle. La première confusion est que nous prenons souvent le tableau de Delacroix comme représentative d’une scène de la Révolution de 1789. Or il s’agit bien de celle de 1830 dont le peintre est témoin. La deuxième confusion réside dans le fait que nous associons facilement cette image victorieuse de Marianne avec l’image républicaine. Il faudra cependant attendre 1848 avant de voir proclamée une IIè République en France, et 1875 pour que le régime républicain dure plus d’une décennie dans notre pays.
Il n’en reste pas moins vrai que les années ont conféré à cette allégorie de la Liberté une force évocatrice de nos valeurs française, révolutionnaire et républicaine. Le Drapeau tricolore est brandi, Marianne, coiffée de son bonnet phrygien marquant son affranchissement, mène les siens seins nus au combat, flanquée d’un possible Gavroche. La Liberté, telle que mise en valeur dans notre devise nationale, est une conquête de la Révolution, conquête sanglante comme le laisse deviner tant la dynamique que la présence d’armes dans l’oeuvre.
Ainsi sont réunis les thèmes que c215 choisit de mettre en avant pour la présentation de cette oeuvre. Tout d’abord, le contexte historique qui entoure la réalisation du tableau, manifestations autoritaires d’un pouvoir ultraroyaliste qui crée une réaction de la rue qui réclame sa Liberté. Cette Liberté devient un affranchissement de tous les instants, pour lequel il faut sans cesse se battre et être prêt à combattre. De ce point de vue, la menace qui pèse alors sur la presse est un thème de choix pour c215, qui en fait l’un de ses engagements prioritaires. Enfin, la France est composée d’une grande diversité, des points de vue et des origines. Composite par nature, son vivre-ensemble représente également une lutte. C’est le troisième point sur lequel insiste Christian lors de cette visite et qui sera présenté en ouverture de cet article.
La Révolution des Trois Glorieuses comme fond pour la toile
Le tableau de Delacroix est une allégorie qui lui a été inspirée par les événements des Trois Glorieuses, dont il a été témoin, les 27, 28 et 29 juillet 1830, au terme desquelles le roi Charles X abdique. Son contexte historique est central dans l’interprétation qu’en tire c215.
Ainsi dans ce récapitulatif historique, il s’agit de mettre en avant deux manifestations essentielles de la Liberté chère à l’artiste et que nous verrons par la suite avec ses pochoirs :
d’une part, malgré l’instabilité et l’incertitude politique, la presse – au sens de liberté de s’informer et d’informer – est indispensable. Charles X tente d’y toucher et se voit immédiatement attaqué.
Et d’autre part, le tableau iconique de Delacroix devient un prétexte pour Christian Guémy à affirmer l’Identité Française, dans sa complexité et sa diversité. Pour l’artiste, ce dernier point qui repose sur les acquis des Révolutions doit rester une constante à travers les régimes politiques.
Dans le contexte historique du tableau, le respect de cette diversité, des points de vue notamment, est une préoccupation qui se retrouve dans le changement de ton entre un Louis XVIII plutôt libéral qui cherche à composer avec tous et un Charles X ultraroyaliste, promoteur des idées passées.
Voici donc ce que l’on peut retenir de cette deuxième Révolution Française :
une génération qui en a gros
la génération qui connait les Trois Glorieuses a également connu la Révolution de 1789. La France sous Charles X en est à son huitième régime politique depuis la Monarchie Constitutionnelle de 1791. Elle a connu, en plus de l’instabilité politique, la famine, les guerres, la terreur politique, l’Empire, la domination sur l’Europe puis la domination par l’Europe.
on ne peut pas plaire à tout le monde
en 1815, la France voit revenir à sa tête un roi Bourbon, Louis XVIII, retour initié en 1814 sous le nom de Restauration, alors renversée par l’ultime prise de pouvoir par Napoléon au cours de la période dite des Cents Jours. Louis XVIII est le roi qui prend comme responsabilité celle de concilier tous les points de vue afin de refaire l’unité du pays. Au lendemain de la défaite de Waterloo, la France est occupée par les armées étrangères, comme cela est prévu dans le Traité de Paris de 1815.
C’est donc sous l’oeil des puissances européennes, dans un pays politiquement affaibli, que Louis XVIII doit doter la France d’un texte constitutionnel, faire revenir et réparer les dommages subis par la Noblesse et le Clergé émigrés et enfin contenir le Peuple qui après le tournant de 1789 ne peut accepter un retour pur et simple à l’Ancien Régime. Louis XVIII tentera une voie libérale pour son gouvernement, voie qui sera marquée par une certaine réussite économique en même temps que des tensions du côté des ultras qui réclament des mesures plus radicales.
Enfin, il est à noter que Louis XVIII, contrairement à son successeur, ne limite pas la presse. En exil depuis 1791, il est conscient d’être un roi qui connait mal son pays et, désireux de se tenir au courant de l’avis de ses sujets, s’informe énormément par la presse au sujet des attentes des Français.
un ultra, comment ça marche ?
En 1824, Louis XVIII meurt et son frère Charles X monte sur le trône. A la différence de son prédécesseur, sous le règne duquel il était le chef de file des ultraroyalistes, Charles X est très attaché aux valeurs d’Ancien Régime et moins porté à faire des compromis. Ce sont ses propositions qui vont mettre le feu aux poudres et causer le soulèvement parisien des Trois Glorieuses. Charles X tente un « coup de force constitutionnel » en prenant une série de d’ordonnances par lesquelles:
1/ il rétablit l’autorisation préalable pour la presse (thème sur lequel insiste c215)
2/ il dissout les Chambres
3/ il révise la loi électorale, la Chambre des Députés n’accepte plus que les propriétaires fonciers
4/ il nomme de nouveaux conseillers d’Etat
Immédiatement après l’annonce de ces ordonnances, un mouvement de contestation parisien se crée, qui débouche sur une insurrection citoyenne avec levée des barricades et affrontements contre les armées du Maréchal Marmont, faisant en tout 1000 victimes, 200 soldats et 800 insurgés. Charles X abdique, le modèle de monarchie constitutionnelle est maintenu mais le changement de dynastie s’impose et se fait au profit de la maison d’Orléans. Louis-Philippe Ier devient alors « roi des Français ».
et les pochoirs de c215 dans tout ça ?
Ce long rappel historique est utile pour comprendre ce que le tableau de Delacroix inspire à c215. Certes Christian évoque l’importance du mouvement dans la composition l’oeuvre et la façon dont il a cherché à le reproduire en allant à l’encontre de son art, le pochoir, qui est une technique plutôt statique. Il décrit son travail sur sa version du tableau et le dynamisme qu’il a donné à la scène dans sa version pochoirisée.
Mais le plus important pour le pochoiriste est probablement à chercher du côté du contexte historique d’une part et de la forte symbolique qui se dégage de l’allégorie de la Liberté d’autre part. Presse et identité/valeurs françaises sont deux éléments de l’oeuvre de Delacroix sur lesquelles Christian Guémy a assis une partie de son approche artistique.
une presse libre, c’est une presse pas oppressée
Lors de la visite du Louvre, Christian insiste beaucoup sur l’ordonnance de Charles X qui constitue une menace pour la presse. Il présente la liberté de la presse comme l’un de ses combats en tant qu’artiste et cite comme exemple les pochoirs qu’il a réalisés suite aux attentats de Charlie Hebdo.
L’artiste a d’une part réalisé des portraits de l’équipe de Charlie près des locaux du journal à Paris. Il a d’autre part distribué lors de la manifestation du 11 janvier 2015 quelques 500 pochoirs « je suis charlie » à des inconnus rencontrés sur son chemin ce jour-là. Vous pouvez retrouver une photo de l’un de ces pochoirs ainsi que les nombreuses oeuvres que les attentats de Charlie Hebdo ont inspiré à des streetartites dans cet article de street art avenue.
C215 mène également une campagne tout en pochoir à travers Paris en soutien aux nombreux journalistes turcs en prison. Il réalise en boucle le portrait de 10 journalistes Turcs détenus et comme pour « je suis Charlie », il distribue des pochoirs qui portent le hashtag « #SaveTurkishJournalists ». Comme le rappelle Christophe Deloire, le secrétaire général de Reporters Sans Frontières, dans un entretien accordé au journal Le Monde (24 mai 2017) :
« La Turquie est aujourd’hui la plus grande prison du monde pour les journalistes. Plus de cent reporters sont en détention provisoire dans des conditions extrêmement sévères, dans le cadre de procédures absurdes »
mon, ton, son bonnet phrygien
En plus de la presse, l’artiste attire l’attention de notre groupe sur un autre détail du tableau de Delacroix : le bonnet phrygien. Si le bonnet phrygien trouve son origine en Anatolie, l’actuelle Turquie, sa force symbolique, évocatrice de Liberté est à rechercher dans l’Histoire Romaine. En effet, sa forme rappelle celle du pileus, bonnet qui coiffait les esclaves affranchis de l’Empire Romain.
C’est un symbole, un attribut de la République Française et de Marianne, que c215 a utilisé dans plusieurs de ses pochoirs, afin de marquer notre Liberté commune au sein de l’Identité Française. On le retrouve comme ci-dessus coiffant sa fille Nina, jeune Marianne, défenseuse de la Déclaration des Droits de l’Homme.
Le bonnet phrygien est également un des attributs de l’Identité Française telle qu’il la conçoit : inclusive, multiple, dynamique. L’artiste note avec conviction qu’il se voit comme patriote et qu’à ce titre, rien ne justifie que l’amour de la France soit le sujet réservé de groupements politiques particuliers. C’est ce qui l’a inspiré pour son exposition « Douce France ».
Enfin le bonnet phrygien se retrouve utilisé dans une oeuvre ambitieuse à l’école Pauline-Kergomard à Sarcelles que c215 a réalisé avec la complicité de 27 enfants. Il a fait leur portrait sur un des murs de l’école, chacun coiffé du bonnet.
« Ce sont 27 portraits d’enfants de l’école, chacun portant un bonnet phrygien pour symboliser les valeurs de la République, tous issus de la mixité pour montrer la diversité culturelle et ethnique de la France » (source: Le Parisien, 26 sept. 2016)
Infos complémentaires :
Excellente présentation et commentaire de l’oeuvre de Delacroix
Le « 2000 ans d’Histoire », la très bonne émission de France Inter consacrée aux Trois Glorieuses
Enfin pour comprendre toute la difficulté du passage entre les Cents Jours et la Seconde Restauration, je vous recommande le visionnage de ce film, « Le Souper » qui réunit en huis clos Fouché et Taleyrand débattant le futur régime politique français le 6 juillet 1815.
Infos pratiques sur les visites « le regard de… » :
- 10€ l’inscription
- visite d’1h30 environ
- demande d’informations à l’adresse suivante
[…] vous retrouverez un article détaillé au sujet de cette œuvre de Delacroix, et la façon dont elle a inspiré Christian Guémy. Ce sont […]