Cher Invader,
Voilà un peu plus d’un an que je chasse les envahisseurs carrelés à travers les villes où ces derniers s’exposent. Au début, hésitant devant l’immensité de la tâche pour atteindre l’exhaustivité, je me suis dit que ceci n’était pas ma guerre. Mais en constatant que les rangs des candidats à l’invasion ne faisaient que grossir, mobilisant toujours plus largement les hautes figures pop culturelles, un réflexe citoyen m’a poussé à endosser ma part de responsabilité et, à la hauteur de mes modestes moyens, débusquer autant que faire se peut l’ennemi.
C’est un combat sans relâche qui s’est alors engagé. Ah chienne de guerre ! Que n’emportes-tu dans la tombe les bassesses que ton exercice nous impose ! Au fur et à mesure de mes flashs, j’ai vu de nobles camarades chuter dans le classement et les plus aguerris se tailler un chemin parmi les alliés et les As rassemblés. J’ai vu le désespoir et la convoitise se saisir du cœur de braves ; la camaraderie et l’entraide unir le destin d’innocents bidasses.
Mais plus encore, cette guerre a alimenté ma réflexion sur la nature de l’ennemi. Comme aimait à le dire un regretté Procureur : « l’ennemi est bête : il croit que c’est nous l’ennemi, alors que c’est lui ! » Au fond qu’est-ce qui nous distingue de l’ennemi ? Ne sommes-nous pas nous-même, une fois hachés menus, pas plus qu’un vulgaire amas de pixels ? N’avons-nous pas comme eux des yeux, des pattes, des dimensions ? Lorsque l’on nous arrache une partie de notre corps sans notre consentement, ne souffrons-nous pas ? Et lorsque l’on nous pique, notre glue rougeâtre ne coule-t-elle pas ? L’idée d’une différence fondamentale entre l’ennemi et nous est, j’en suis à présent convaincu, l’œuvre d’une propagande au service d’intérêts qui échappent à notre entendement de pioupiou.
De terribles histoires circulent au sujet des envahisseurs, dignes parfois des pires scénarii de films d’horreur des années 80. On leur prête volontiers violence, brutalité, sauvagerie. Et nous ? Sommes-nous tout blanc dans cette affaire ? Que celui qui n’a jamais tenté d’envahir son voisin ou sa voisine jette la première mosaïque !
Pour ma part, cher Carreleur qui avez mon admiration, je préfère méditer sur le fait qu’à l’heure où les accélérateurs de particules du monde entier tentent de mettre en lumière l’existence d’éventuels blocs de matière primordiaux, communs à l’ensemble de tout ce qui constitue l’Être dans l’Univers, votre art propose, avec une certaine innocence poétique, de considérer que cette question trouve déjà sa réponse dans le matériau qui donne vie aux uns et rassemble les autres.
Avec mes salutations confraternelles,
Yowino
Lettre ouverte à Invader pour le livre d’or du 1er Symposium Parisien des flasheurs de Space Invaders. Un immense merci et un grand bravo aux organisateurs de ce premier rassemblement qui fut une réussite totale. Le debrief de l’événement se trouve sur le blog à cette adresse.
Pour les scenarii de films d’horreur des années 80, c’est ici que ça se passe.
[…] Sachez enfin que vous avez jusqu’au 30 juin pour participer au livre d’or de l’événement qui sera envoyé à l’artiste. Voyez avec le compte officiel pour transmettre vos réalisations. En ce qui me concerne, vous pouvez lire ma contribution, sous forme de lettre ouverte à Invader, à cette adresse. […]