Symphonie d'une nouvelle rencontre

Prélude à l'Ere Mécanico-Vectorielle

La musique résonnait dans la petite capsule éclairée par une simple lampe. Fixée sur le tableau de bord, elle baignait le poste de commande dans une douce lumière dorée. Les notes rebondissaient sur ses parois métalliques. Dans cet espace réduit, elles accompagnaient Antonín dans sa première sortie en solitaire. La symphonie apaisait son émotion.

Les trois années qu’il avait passées à bord du sous-marin de la flotte royale le “Nouveau Monde” comme ingénieur de recherche avaient forgé sa fascination des profondeurs. De longs mois durant, il avait répété tous les gestes, avait mémorisé tous les procédés, toutes les techniques et modes d’emploi de chacun des appareils embarqués, chaque rouage, chaque boulon, chaque vis. Sa maîtrise de la collecte des prélèvements du sol sous-marin ne connaissait pas d’égal. Il dominait son sujet.

Le site d’exploration jouxtait les ruines de la cité engloutie de Brest. La capsule naviguait lestement au travers des vieilles pierres, évoluait au milieu de ce décor mort et silencieux. Ses deux faisceaux de lumière balayaient l’horizon, dessinant les surfaces, les contours, les formes de cette scène désolée. Lentement, l’engin remontait le vieux port, l’artère centrale, la Place du marché. Puis la capsule quitta peu à peu les restes de la ville. L’ingénieur repéra un endroit propice pour commencer son travail d’extraction. Les violons de la symphonie battaient la mesure du travail des bras mécaniques.

Les notes montaient toujours plus haut et d’une façon toujours plus majestueuse, lorsque, à l’extérieur, se fit entendre un frottement contre la carcasse métallique de sa mono-capsule. Il coupa la musique et écouta attentivement. Le bruit évoquait le passage cahotant d’une bande de fer contre la paroi. Il mania délicatement l’engin pour orienter son champ de vision du côté du bruit. Sa stupeur fut totale : un banc de poissons défilait à toute allure au-dessus de lui, ignorant sa présence. Ceux-ci ne ressemblaient à rien de ce qu’il avait pu voir jusqu’alors : il s’agissait bien de poissons, mais leur corps était pour moitié composé d’éléments métalliques, vis, boulons et rouages, s’entremêlant à des structures de bâtiments, charpentes de pierre, textures de béton.

L’ingénieur comprit que les poissons n’étaient pas offensifs. Il se trouvait simplement sur leur chemin. Il coupa ses moteurs, regarda cette valse aquatique. Les derniers poissons passés au-dessus de sa tête, il ralluma sa machine pour suivre la chevauchée extraordinaire. Ce spectacle n’en finissait pas de lui faire tourner la tête : En était-il le premier spectateur ? D’où venait cette espèce, mélange étrange de vivant et d’une mécano-architecture proliférante ? S’agissait-il d’une création humaine ? Les fonds marins étaient-ils à ce point devenus un mystère pour l’Homme pour que s’y déroule une évolution dont il ignorait tout ?

Quoiqu’il en soit un équilibre subtil s’était créé, dialogue harmonieux entre la faune colorée protéiforme des océans et ce chaos technique, alliant machines et architectures improbables.

Enfin le banc ralentit et se dispersa. La capsule s’arrêta alors au bord d’une falaise. Le “Nouveau Monde” était loin à présent. L’ingénieur fut pris d’une envie de rentrer sur le champ et de raconter son aventure incroyable.

Il remit ses moteurs en marche, quand, au moment de tourner, il vit un immense tentacule s’abattre sur son engin. Il eut le temps de l’éviter de justesse et fit volte face pour voir son assaillant : un poulpe géant qui, comme les poissons, avait développé une hybridation étonnante et qui le regardait maintenant. Pas plus que le banc de poissons, la bête ne semblait vouloir brusquer la capsule. Antonín respira longuement. Puis, avisant alentour, il vit qu’une faune inédite s’était rassemblée là, curieuse de ce visiteur mécanique. L’ingénieur et les animaux se jaugèrent. Il profita de cet état de contemplation pour faire plusieurs croquis de chacune des espèces qui s’offraient à son regard et renseigner sa stupéfiante découverte dans son carnet de notes.

“Dans la pénombre des profondeurs, je distinguais une tortue obliquer vers ma capsule. Son passage dans le cône de lumière que j’émettais révéla sa dynamique : ses pattes dessinaient une suite de cercles lents. Son côté gauche tendait ainsi à échéance régulière les cordages reliant sa patte au bord de sa carapace. Impossible de distinguer qui de l’animal ou du mécanisme qu’il embarquait était responsable de sa mise en mouvement.”

“Animés semble-t-il par la curiosité et l’innocence de cette rencontre inédite, des myriades de poissons tournoyaient autour de la capsule, la scrutant sous tous ses angles. Cette danse endiablée projetait dans le ciel sous-marin un arc en ciel de couleurs changeantes et s’agitait au son du cliquetis de leurs corps hybrides. Ce ballet énigmatique, j’en avais la conviction, donnait là sa première représentation.”

“En regardant par le hublot inférieur de ma capsule, je vis s’avancer quelques méduses. Leur spectacle en particulier retint mon attention : leurs nombreux tentacules s’agitaient sous leurs corps, et semblaient causer un effet de balancier à ces énormes cloches. Si leur musique pouvait s’entendre, elles résonneraient à n’en pas douter du tintement original de leur hybridation.”

“Tel un aigle aquatique, la raie déployait six, peut-être sept mètres de son envergure, ses ailes puissantes la propulsant près de ma position. Par le hublot supérieur, je contemplais le vol majestueux de ce superbe animal, dont les articulations mécaniques répondaient par une symétrie parfaite à son corps organique. Qui pouvait être l’artisan d’une telle œuvre ?”

“Au loin, j’ai vu un monstre marin. Il accueillait sur son dos et dans ses entrailles une ville entière, grouillante du mouvement des eaux que son mouvement remuait. Là sous mes yeux, c’est l’écho d’un conte ancestral qui prenait vie.”

“Au plus près de ma capsule reposaient une large variété de coquillages. Si les matières organiques biominérales traditionnellement observées chez ces espèces sont bien présentes, ses attributs se complètent, comme cela semble être le cas de toute cette faune, d’éléments mécaniques, rouages et structures de pierre. Étrange conque dont personne ne peut jouer.”

Retrouvez le bestiaire d’Ardif sur sa galerie Instagram et sa page Facebook. Les épisodes des Chroniques de l’Ere Mécanico-Vectorielle sont également disponibles sur Instagram sur #avenementmecanicovectoriel.